Qui est l’homme derrière l’article 49-3 ?

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Dans la commune normande de Pavilly, le 13 juin au soir, une petite statue va être dévoilée. Elle honore Robert Lecourt (1908-2004), homme politique français, avocat, démocrate chrétien, ancien chef de la résistance et Européen convaincu. Largement oubliées, ses contributions aux institutions françaises et européennes ont été immenses.

Il est notamment l’homme à l’origine du controversé article 49.3 de la constitution, qui permet d’adopter des lois importantes sans un vote parlementaire normal, et de la primauté du droit européen sur le droit national. L’objectif, dans les deux cas, était de permettre la prise et l’application de décisions difficiles.

Avec l’article 49.3, la constitution française de 1958 prévoit un "vote de censure" qui, s’il est soutenu par la majorité absolue des députés, peut à la fois rejeter le projet de loi et contraindre le gouvernement à démissionner. Toutefois, si ce seuil n’est pas atteint, la loi est considérée comme adoptée et le gouvernement reste en place. Cette procédure exceptionnelle a été utilisée par les gouvernements français pour adopter des lois plus de cent fois depuis 1958. Cela a notamment été le cas en 2023 pour relever l’âge de la retraite en France, enclenchant de vives manifestations et valant à la Première ministre le sobriquet de "Madame 49.3".

La polémique n’est pas nouvelle. Dès le début des débats sur un tel mécanisme, comme en témoignent les Journaux officiels de février 1958, les parlementaires de l’opposition le dénoncent comme étant "choquant" et même une "camisole de force" pour le Parlement. Peu après sa création en 1958, l’un des premiers ouvrages critiques sur la nouvelle constitution s’interroge même très ouvertement : "Quel est le farfelu qui a inventé ça ?"

"Quel est le farfelu qui a inventé ça ?"

La réponse à cette question est intéressante : l’article 49.3 n’est pas facilement imputable aux "pères fondateurs" les plus évidents de la constitution de la Ve République. Le site Internet de l’Assemblée nationale française annonce que "les institutions de la Ve République, créée en 1958, correspondent aux idées du général de Gaulle, telles qu’il les avait exposées en 1946", mais le général n’a rien dit en 1946 sur un mécanisme du type de l’article 49.3. Celui-ci n’était pas non plus une idée privilégiée par Michel Debré, le principal rédacteur de la constitution de 1958.

L’initiative de l’article 49.3 est en fait héritée des propositions de réforme constitutionnelle avancées au début de 1958 par Robert Lecourt, alors ministre de la Justice, lorsque Félix Gaillard était président du Conseil. C’est Lecourt qui a préconisé des concepts similaires à l’article 49.3 au cours des années précédant 1958. C’est Lecourt qui a été le fer de lance de l’initiative dans les négociations du parti et au Parlement. Le 14 février 1958, il défend la proposition à l’Assemblée nationale, soulignant l’instabilité de la IVe République et la nécessité de concilier "démocratie" et "efficacité". À l’époque, l’origine de l’article 49.3 est largement comprise. Ainsi, le 16 août 1958, on peut lire dans les pages du journal La Croix :

"Le système prévu est, en effet, proche de celui que réclamait M. Lecourt, quand il s’agissait de réformer la précédente constitution, système ayant pour but d’empêcher que les gouvernements ne soient renversés par une minorité et que les abstentions jouent contre lui. Ce sera sans doute là une des meilleures dispositions des institutions de la Ve République."

Si quelqu’un mérite alors le titre de "Monsieur 49.3", c’est bien Robert Lecourt. Aujourd’hui quasiment inconnu en tant qu’homme politique, il devrait être considéré parmi les "pères fondateurs" de la constitution française de 1958.

Un 49.3 européen ?

L’article 49.3 n’est pas la seule modification des pouvoirs de l’Assemblée nationale qui trouve son origine dans les opinions et le militantisme de Robert Lecourt. Une autre, également controversée, découle des contraintes imposées par de droit de l’Union européenne. Celui-ci prime sur les législations nationales (si une loi française va à l’encontre d’un règlement européen, c’est la législation européenne qui est applicable). Le droit européen détermine le droit et la politique française dans un large éventail de domaines sans vote de l’Assemblée nationale. Il est souvent directement applicable par les tribunaux français. Cela rend le droit européen plus efficace et plus contraignant que les formes courantes du droit international (par exemple les règles de l’Organisation mondiale du commerce, qui ne sont pas applicables devant les tribunaux nationaux). Cette spécificité facilite la coopération européenne, tout en soulevant des questions sur la nature démocratique du droit européen.

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Mais d’où viennent les grands principes du droit européen ? L’effet direct et la primauté du droit européen n’étaient pas énoncés dans le traité de Rome signé par les États européens. Ils ont été créés, pourrait-on dire "inventés", en 1963 et 1964 par la Cour de Justice européenne. Deux arrêts désormais célèbres de la Cour européenne de justice, "Van Gend en Loos" en 1963 et "Costa contre Enel" en 1964, indiquent que les tribunaux nationaux doivent appliquer les lois européennes à la demande des justiciables privés, même si les lois européennes sont en contradiction avec la législation nationale. C’est la naissance de l’effet direct. Au fil du temps, les principes énoncés dans ces premiers jugements ont abouti à la hiérarchie des normes actuelles.

Ces arrêts qui transformeront l’avenir de l’Union européenne ont immédiatement suivi la nomination, en 1962, d’un nouveau juge français : Robert Lecourt. Lecourt semble avoir été le juge le plus influent de la Cour entre 1962 et 1976, devenant président en 1967. L’effet direct et la primauté du droit européen sont des acquis des "années Lecourt" à la Cour de justice européenne, comme décrit par un autre juge européen, Pierre Pescatore. Avec Schuman, Adenauer et Monnet, Lecourt devrait donc également être reconnu comme l’un des "pères fondateurs" de l’Union européenne.

Ce parallèle entre le droit européen et l’article 49.3 permet de les envisager sous un jour nouveau. La coopération européenne et la stabilité des gouvernements français n’auraient peut-être pas été possibles sans ces changements significatifs dans le pouvoir législatif de l’Assemblée nationale – aussi contraires soient-ils à la tradition. Comme l’indiquait Lecourt le 9 mai 1975, à l’occasion du 25e anniversaire de la Déclaration Schuman :

"Qui voulait le but devait vouloir le moyen."

Le droit qui régit les Français et de nombreux Européens au quotidien n’aurait pas le même visage sans les fondations bâties par cet avocat aujourd’hui méconnu qu’est Robert Lecourt. Si vous passez devant son buste à Pavilly, vous saurez désormais à qui vous avez à faire.

William Phelan, Associate Professor of Political Science, Trinity College Dublin

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles d'InfoChrétienne.

Crédit image : Shutterstock / Jo Bouroch


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